Virtuel Verdi

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Mise à jour le mercredi 25 février 2009 à 14 h 15
Un texte de Richard Raymond

Violetta est en train d'expirer à New York, dans les bras de Giorgio Germont. Alfredo, son amant, se désespère à San Francisco, pendant que le chef d'orchestre bat la mesure à Montréal. Verdi quitte la scène pour entrer dans le cyberespace. Aurait-il perdu sa clé de sol?

Bienvenue dans le futur de l'opéra. Ce futur a pris corps à l'Université McGill, la semaine dernière avec le « World Opera Project ».
Le maestro Niels Muss dirige les chanteurs « à distance » dans des délais simulés. Photo credit: J. Cooperstock

Simuler la distance et les délais

On avait installé la soprano et le baryton dans une pièce du Centre for Interdisciplinary Research in Music Media and Technology. Le pianiste accompagnateur était à leurs côtés. Le ténor, quant à lui, chantait dans une autre pièce. Le chef les dirigeait dans un troisième lieu. Les musiciens se voyaient sur écran et s'entendaient par les haut-parleurs.

Toutefois, il fallait compter sur un délai de transmission d'une pièce à une autre pour simuler la distance qui les séparait virtuellement. La soprano, le baryton et le pianiste à New York. Le ténor, à San Francisco, et le maestro Niels Muus à Montréal.

Cette expérience menée conjointement par l'Université de Tromsø, en Norvège, et l'Université McGill poursuit un but: déterminer si les interprètes d'un opéra peuvent chanter ensemble tandis qu'ils sont sur scène dans différents fuseaux horaires et dans différents pays.

Rechercher la synchronisation

Il s'agissait donc d'atteindre une parfaite synchronisation entre tous les acteurs de l'extrait chanté de La Traviata : chanteurs, pianiste accompagnateur et chef d'orchestre.

L'expérience se déroulait dans une atmosphère bon enfant. Détendus, les chanteurs blaguaient entre les prises. Détendu, le maestro Niels Muus, qui travaille à Vienne, semblait heureux des résultats de l'expérience: « Je suis très agréablement surpris. En fait, je n'avais aucune attente. Je ne savais pas ce que ça donnerait. »

Même son de cloche chez l'initiateur du projet, Niels Lund, professeur à l'Université de Tromsø, en Norvège.

Je suis vraiment surpris de la façon dont ils ont réussi, même si, pour les chanteurs, c'est une toute nouvelle expérience.
- Niels Lund

Photo credit: J. Cooperstock

Conserver le lien émotif

M. Lund ignorait aussi à son arrivée à Montréal, il y a une semaine, si l'expérience serait un désastre ou pas. « Des expériences avaient été tentées avec la musique, mais pas à l'opéra dans lequel le drame suppose une connexion émotionnelle et une relation au chef, explique-t-il. »

En effet, tout le problème de l'opéra réside dans le lien émotif qui doit s'instaurer entre les chanteurs. Les délais de transmission des signaux entre les différentes villes peuvent-ils nuire à leur performance?

Nous avons découvert comment surmonter ce problème. Et cela, je ne m'y attendais pas. Je m'attendais à venir ici pour circonscrire le problème, pas pour le résoudre.
- Niels Muus

Le maestro Muus a été en mesure non seulement de diriger les chanteurs et le pianiste, mais aussi d'entretenir la relation émotionnelle si importante avec eux. Après une prise, il a expliqué au jeune ténor qu'il ne devait pas fermer les yeux: « Jamais en scène, dit-il, parce que tu coupes le courant d'avec la salle. Sers-toi toujours de tes yeux pour communiquer ». Conseil que le jeune chanteur a suivi.

Vers de nouveaux horizons

Ce projet ouvre un nouveau champ de représentation artistique, de nouvelles possibilités. M. Lund y croit.

Je veux réaliser l'idée du village global dans le monde de l'opéra.
- Niels Lund

Niels Lund souhaite que, dorénavant, les compositeurs intègrent les nouvelles technologies dans leur travail. D'ailleurs, une compositrice de Montréal, Melissa Hui, composera un nouvel opéra en respectant les conditions de délai. Il songe déjà à relier New York, le Danemark, la Norvège et Montréal pour faire une démonstration des résultats.

Je suis très optimiste.
- Niels Lund

Créer le « dream team » opératique

L'une des applications du système permettrait de faire des économies appréciables. Par exemple, imaginez une distribution de rêve dont les membres seraient dispersés aux quatre coins du monde: LA soprano de l'heure à Paris, LE ténor à Tokyo, LE baryton à New York et L'alto à San Francisco. Ils pourraient répéter un opéra ensemble, grâce au « World Opera Project », sans quitter leur ville. Quant au chef, Kent Nagano, il ferait travailler tout ce beau monde à partir de Montréal. Beaucoup de temps et d'argent économisés.

Et tous se retrouveraient sur la scène de la Place des Arts, un mois plus tard, pour présenter La Traviata.

Le rêve!

Le secret, comme le dit le maestro Niels Muus, c'est de trouver un système qui fonctionne partout.

Le « World Opera Project » implique des artistes et techniciens de New York, San Francisco, Milan, Copenhague, au Danemark, Oslo et Tromsø, en Norvège, et Montréal.